Jardinage zen
Journée pluvieuse d’automne, mais il fait un peu moins froid. La pluie a cessé cet après-midi et nous avons pu travailler dans le jardin, sous une légère bruine intermittente, avec de grands chapeaux de paille. Comme le potager était trop boueux, nous avons enlevé les mauvaises herbes le long des allées dallées de l’entrée du temple. Travail minutieux, accroupi, avec mes petits gants de laine troués au bout des doigts et trempés, arrachant une à une de toutes petites plantes parmi la terre et les cailloux ; il aurait presque fallu des pincettes. Comme pour tout ce qui est nouveau, j’ai commencé par manifester une profonde aversion, et j’ai terminé avec beaucoup de plaisir. Pourtant, c’était le même travail du début à la fin. Quelle inconstance ! Je pensais en prenant mon bain que le jardinage était vraiment une occupation merveilleuse : pas trop difficile, donc on arrive toujours à faire un bon travail dont on est satisfait quand on a terminé ; c’est loin d’être le cas avec d’autres activités.
Je constate une fois de plus que je suis toujours très attaché au résultat de mon travail et en attends des éloges ; alors qu’il n’y a rien d’extraordinaire qui mériterait qu’on s’extasie. Shohaku* est très discret, autant avant, pendant, qu’après le travail. Il me laisse faire sans donner de conseils ni faire de critiques ou de compliments. C’est un travail simple qu’il faut faire au mieux, c’est tout ! Il n’y a rien à en dire. Le travail de chacun ne regarde que lui : c’est toute l’essence de la pratique du zen. Je comprends de mieux en mieux cet esprit, qui me convient tout à fait.
* Shohaku : l’abbé de Shorin-ji, un petit centre de méditation zen situé près de Sonobe, à vingt kilomètres de Kyoto, dans lequel j’ai fait un court séjour.
11 octobre 1989, Shorin-ji (Japon)